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Présentation de l’exposition de dessins d’Odile Villeroy en 2010 à Salzbrunnenhaus, Sulzbach en Allemagne

Les expositions d’Odile Villeroy se suivent, mais ne se ressemblent pas. Il y a quelques mois, la dessinatrice – c’est le mot qui revint le plus souvent dans nos dialogues, non pas celui de peintre ou de graveur, bien qu’elle peigne depuis longtemps et grave depuis peu – faisait pousser sous nos yeux des arbres « non certifiés conformes ». Elle animait plutôt, avec un humour certain, des métamorphoses : affublant tel tronc de lunettes semblables aux siennes, vêtant tel autre d’un jupon rose, se glissant dans les formes souvent suggestives tournées et creusées dans le bois par la nature pour leur tracer au pinceau et au fusain de fabuleux destins.

Les songes surréalistes ont, cette année, cédé la place à la vie quotidienne. Et les objets bavards et théâtralisés aux objets modestes et silencieux. Au commencement, bien qu’elle n’y songe jamais au moment de dessiner, étaient les godasses avachies, boueuses, quasi hors d’usage de Van Gogh. Un résumé certes célèbre, mais toujours bouleversant de la vie terrible d’un artiste dont la mélancolie jouxta la folie. Puis, il y a les siennes, de chaussures. Celles qu’elle retire précisément, pour dessiner et qui lui tombent sous le sens et les yeux quand elle s’empare de ses crayons. Celles aussi de l’époux, négligemment oubliées dans un coin de bureau. Celles enfin, jetées pêle-mêle dans le couloir, de sa flopée de petits-enfants…

Les individus, en l’occurrence, n’ont pas voix au chapitre. Ces pauvres objets, dérisoires, attachants, vivent leur vie propre. La chaussure isolée semble triste d’avoir perdu son pied. Cette chaussure a mené une vie difficile : son maître ou sa maîtresse ne l’a pas épargnée. Mais sans pied, la chaussure est perdue et s’affaisse dans ce sentiment d’inutilité. Ce qui frappe dans la représentation qu’Odile Villeroy nous propose de ces objets attachés à nos « travaux » et à nos « jours », c’est leurs méandres en effet. Ne cherchez pas de formes géométriques ni de matériaux rigides. Attardez-vous au contraire au bord, tout au bord des cratères, petits et grands, en forme de bouche dessinés non seulement par les chaussures, mais aussi les sacs et les parapluies. Ces bas de contention, souvenir d’hôpital, en disent plus long sur la maladie ou l’accident qu’un bulletin médical.

Rien de morbide pourtant dans ce témoignage. Le spectateur prête l’oreille à la petite histoire narrée par ces étranges chaussettes. En tas, elles expriment la lassitude de la mère qui serait bien tentée de faire frire en fricassée toute sa marmaille (ce qu’elle fit, mais à l’huile seulement, en l’an 2000, dans un tableau) ; en paires, elles devisent paisiblement. Quant aux sacs, nul doute qu’ils aient quelque chose à « cracher ». Les entrailles, peut-être, de leur propriétaire, partagée, on l’imagine, entre ses obligations familiales et sociales et son désir de solitude pour donner aux vêtements, aux chaussures, aux sacs et aux parapluies une chance, comment dire, d’autonomie ? Disons, plus simplement, d’émotion. Plus encore : ces objets qu’elles vous dévoile sans apprêt, c’est son intimité. « Aimez-moi !, murmurent-ils tous, comme je suis, avec mes mains noueuses et mes pieds caricaturés. Aimez-moi pour moi-même : femme et dessinatrice, indépendamment de mon nom et de mon arbre – voilà le nœud de l’affaire – généalogique.

Stillleben. Vie « coyte ». Vie silencieuse. J’ai toujours préféré ce terme allemand à l’expression française : nature morte. Pour quelle raison ? Parce que ces objets-là vivent, bon sang !, et souffrent, par conséquent. Quant aux êtres vivants, nous dirons qu’Odile Villeroy s’y intéresse de manière anecdotique : croqués, en vacances le plus souvent, toujours oisifs, méditatifs, contemplatifs. Les uns, sur la plage ; les autres contre un rocher. Tandis qu’une espèce de Monsieur Hulot, en vacances perpétuelles, observe on ne sait quoi. Un match de tennis ? Ce qu’aime Odile Villeroy chez les êtres vivants ? Qu’ils s’abandonnent bien sûr ! Oublient leur nom, fonction, statut et autres qualités. Leur identité. Comme ces lecteurs de journaux, à la fois présents et absents, vivant cachés derrière les pages. Qu’ils retournent à l’élémentaire, à l’archaïque : quoi de plus simplifié et de plus émouvant qu’un homme, pilier restant d’une lourde famille, endormi dans son lit, le drap tiré sur son front ? Vulnérable.

Odile Villeroy expose cette année à Sulzbach. Un nom à valeur programmatique. Car cette femme aurait pu, inquiète, couler des jours inconscients en famille. Non ! Non! Et non ! Cette femme, qui ne manque pas de sel, n’a jamais renoncé à nouer avec son prochain un dialogue décalé. Exposés sur les imposantes pierres blanches de cette salle, c’est un cœur et un esprit inquiets que vous verrez. La règle de l’art ? L’envie de créer ne va pas, comme disait l’autre, sans une fêlure. Une forme de mélancolie.

Valérie Deshoulières